L’homme à l’ours
Écrit et mis en scène par Jérôme Robart
Résumé :
1922, François Pompon créait son ours blanc. L’histoire raconte la genèse de l’arrivée de cette œuvre majeure de la sculpture animalière.
Extrait de la pièce :
Objectif :
Faire mieux connaitre François Pompon et les affres de la création artistique et de son jaillissement. Et à travers cet ours polaire, évoquer l’urgence climatique et notre rapport à la nature.
Tous public à partir de 8 ans
Nombre acteurs : 4
Durée : 2 heures
Techniciens : Régisseur son, régisseur lumière, habilleuse
Disposition scénique : Frontal
Lire un extrait
FRANÇOIS POMPON.- Quand mon modèle s’en va, je ne peux rien faire que de le laisser partir. Je ne peux modeler que si l’animal m’accorde de le modeler. Dès qu’il s’en va, je suis démuni. Ce n’est pas grave, je suis patient. Je demande secrètement, silencieusement pas toujours. Je peux faire un petit bruit pour qu’il vienne ou lève la tête. Même, des fois, les mots sortent. Au début, Je regardais souvent autour pour voir si on ne me voyait pas, maintenant je m’en fous. Des fois, je me dis que mes lèvres bougent sans que je m’en rende compte. Et pendant ce temps, je façonne. Je suis peut-être un peu fou, sans doute un peu fou, et un peu, je ne sais pas, mais je parle avec eux. Une voix en moi s’adresse à eux et une oreille les entend. Ils me parlent. Je suis souvent triste tu sais en les quittant. Ils me parlent souvent de leur capture, de leur prison, de l’éloignement de ceux qu’ils ont aimés il y a longtemps. Je reviens souvent triste du jardin des plantes. Je ne modèle finalement que des prisonniers.
BERTHE POMPON.- Des prisonniers innocents.
FRANÇOIS POMPON.- J’ai souvent pleuré devant eux. Pleurer d’être un homme.
C’est arrivé qu’ils s’approchent, se frottent contre les barreaux et me console. C’est fou.
RENÉ DEMEURISSE.- Un jour, on fermera les zoos.
FRANÇOIS POMPON.- Un jour, il n’y aura des animaux que dans les zoos. Avec les animaux de la basse-cour. Ce n’est pas pareil. Il y a plus de gaieté.
BERTHE POMPON.- C’est vrai ça.
FRANÇOIS POMPON.- J’ai plus de joie en moi sans doute. Je les suis, je me déplace avec eux. C’est plus gai.
BERTHE POMPON.- Oui.
FRANÇOIS POMPON.- J’aime être dans cet autre temps, ce temps éloigné des hommes à regarder un animal. Je suis là. Je reste là. Je pense qu’ils sentent ce qui se passe. Ils sentent mon regard sur eux. Peu de mouvements. Pas brusque en tout cas. Une présence douce, inoffensive. Les animaux sont curieux. Mes mouvements sans doute. Tout autour immobile et mes doigts qui s’agitent. Ils regardent forcément. Ils regardent. Et des fois, je me surprends à y percevoir un éclair de reconnaissance.
BERTHE POMPON.- Ça. Tu ne sculptes pas des animaux empaillés. Tu tentes à chaque fois de restituer l’âme de l’animal, pas sa peau, ni sa forme finalement.
FRANÇOIS POMPON.- L’âme, c’est le mouvement. Le mouvement c’est l’âme.
BERTHE POMPON.- Tu ne sculptes pas un ours, ou un marabout. Tu sculptes l’être qui est devant toi, l’individu, peu importe son espéce.
FRANÇOIS POMPON.- L’individu a beau être en cage, il a encore la liberté de bouger et je la respecte. Je suis juste disponible au temps qu’il m’accorde. Leur temps n’est pas le mien. Le temps en captivité n’est pas le même que celui d’un individu libre.
BERTHE POMPON.- C’est sûr.
FRANÇOIS POMPON.- Tu sais , regarder un animal et le modeler. Le faire sortir de Terre. Prendre ce temps. Te mets dans une connivence intime avec lui. Il se sent observé, regardé, aimé. Moi, j’aime très vite dès que je modèle. D’abord il y a les yeux, puis le cœur, puis les mains. Tout être a besoin de la reconnaissance. Même d’un homme. Bien sûr, les animaux s’en moquent bien de passer à l’éternité. Ce ne sont pas des humains. Bien que pour moi, ce sont des humains comme les autres.
RENÉ DEMEURISSE.- Vous les aimez plus que les humains.
FRANÇOIS POMPON.- Ne croyez-vous pas que les humains soient des bêtes comme les autres ?
RENÉ DEMEURISSE.- Ah ah si.
FRANÇOIS POMPON.- J’ai déjà fait des hommes et des femmes , vous savez ?
RENÉ DEMEURISSE.- Je sais.
FRANÇOIS POMPON.- Imaginez-vous par hasard que la beauté n’existe que dans l’homme ? Qu’est-ce que la beauté ? La beauté à l’état pur, c’est d’abord la lumière. Puis le mouvement qui, ensemble, créent la forme. Lumière et mouvement. Mes animaux sont toujours en mouvement car c’est lui qui détermine le centre de gravité, c’est-à-dire en réalité le vrai centre d’intérêt. Quand vous trouvez le centre de gravité d’un corps en mouvement, quel que soit le corps, vous aurez trouvé du même coup son équilibre absolu. L’animal n’a pas de bout, vous comprenez ? C’est le mouvement qui détermine la forme et non pas l’inverse. On supprime les arêtes trop vives qui cassent le glissement de la lumière, source unique de la vie et de la beauté. Il n’y a pas d’utilité à préciser la texture des pelages et des plumages. La forme et la lumière suffisent à les suggérer. Finalement, plus que la terre, on modèle la lumière.
Crédits :
Création costumes : Véronique Trémoureux, Les masques du héron , facteur de masques Sébastien Bickert
Coiffeur posticheur : Damien Laturaz
Création sonore, sonoriration : Jean-Marc Kokes
Création lumières : Mika Devaux
Notes de l’auteur-metteur en scène :
Grâce à la naissance du « P’TIOT FESTIVAL » de SAINT GERMAIN-DE-MODEON (21530) en 2019, et à la création d’une pièce de théâtre intitulée « LE LAIT DE MARIE », récompensée par le prix Jules RENARD 2019, la ville de SAULIEU (21210) s’est approchée de moi afin que je travaille sur une pièce autour de son sculpteur animalier, l’emblématique François POMPON (1855-1933). SAULIEU étant la ville natale du créateur, y abrite un musée à son nom où la plupart de ses œuvres sont exposées.
J’ai plongé dans ce monde artistique du PARIS de la fin du 19eme siècle jusqu’aux années trente. Misère et génie, reconnaissance et gloire tardive, grande guerre et grippe espagnole, François POMPON traverse cette époque aux côtés d’êtres prestigieux, RODIN, Camille CLAUDEL, BOURDELLE, SAINT MARCEAUX, Sarah BERNARDHT et fait son chemin discrètement jusqu’à la création en taille monumentale de son ours Polaire en 1922 et son exposition au salon d’automne au grand Palais de cette même année. Il y rencontre la gloire à 66 ans.
L’ours exposé en bonne place au Musée d’ORSAY a cent ans cette année.
L’histoire que je me propose de raconter est celle de la création de cet ours polaire, œuvre majeure du sculpteur, dont le symbole à notre
époque prend une tout autre importance…
Bienvenue dans « L’HOMME À L’OURS »
Jérôme Robart