Jiji the Lover
Écrit et mis en scène par Jérôme Robart
Résumé :
Aujourd’hui, 21 décembre d’une année comme les autres, Jiji est seul dans la grande ville. C’est le jour de son anniversaire et Lola n’est pas là, elle est partie précipitamment le matin même pour des raisons professionnelles et ne rentrera que le lendemain. Depuis deux ans qu’ils sont ensemble, c’est leur première nuit loin de l’autre.
Extrait de la pièce :
Objectif :
–
Tous public à partir de 12 ans
Nombre acteurs : 3
Durée : 1h30
Techniciens : Régisseur son, régisseur lumière
Disposition scénique : Bi-frontal ou Frontal
Lire un extrait
JIJI et ZOÉ. Musique à fond. Ils se servent des verres.
ZOÉ.- L’amour est libre.
Sur une génération, combien peuvent aimer ? Aimer comme je dis. Aimer vraiment. Vingt ? trente ? Plus ? Moins ?
JIJI.- Je ne sais pas.
ZOÉ.– Moi je veux aimer comme ça…
JIJI.- Avec de la glace ?
ZOÉ.- Oui. C’est autre chose qu’être gentille et sympathique. Autre chose.
Vraiment.
« Je t’aime si tu fais ça ; si tu es comme ça, je t’aime » Non merci.
Mais la vérité, c’est pas ça.
Tu vois comment je suis. Je veux dire physiquement. Je peux te parler honnêtement. Je suis plutôt pas trop moche. Je veux dire dans cette société-là, on pourrait dire que je corresponds aux canons de beauté. Pour d’autres, je serai rachitique, limite malade, mais pour nous, non. Je suis plutôt belle. Les filles sur les magazines me ressemblent. Tu vois ce que je veux dire. Je ne veux pas que ça fasse prétentieuse, mais c’est vrai. Ça pose problème Je suis un objet d’amour. Un objet de pouvoir. Un objet.
On me veut. On ne m’aime pas. Voilà.
Tu comprends mes difficultés. Tu as l’impression de ne pas être aimé pour toi, mais pour ta beauté ; D’aucuns pour tes seins, ton cul, ta bouche. D’autres pour ta façon de bouger, de rire, ton charme. C’est peut-être un peu mieux pour toi, pour ce que tu ressens à l’intérieur, le charme. Mais ça ne te suffit pas quand même. Tu comprends.
JIJI.- Oui.
ZOÉ .- En plus, je suis blonde.
J’ai lu dans un canard que les blondes seraient plus fécondes, naturellement je parle, que toutes les autres. A la difficulté nordique de faire des enfants dans le froid, la nature répond par une plus grande fécondité. Ça veut dire sur une vie, plus d’ovules. Des ovules plus résistants.
JIJI.- Et alors ?
ZOÉ.- Les blondes seraient plus fertiles.
JIJI .- Et alors ?
ZOÉ.- l’homme le sentirait. Tous les hommes.
JIJI.- Tous les hommes ?
ZOÉ.- Oui.
JIJI .- Ta beauté serait d’être blonde.
Comme dans une malédiction. En quelque sorte.
ZOÉ.- En quelque sorte.
JIJI.- Ce qui voudrait dire que, si tu ne supportes plus d’attirer des hommes par ta beauté et que l’essentiel de ta beauté prend sa source dans la couleur de tes cheveux, il faudrait mieux que tu te teignes. Pour voir. En brune ou autre chose.
ZOÉ.- Brune. Quelle horreur. Je préfère encore me les raser.
JIJI.- Ou alors tu te trouves un aveugle.
Moi, je suis un homme. C’est pas facile non plus. Je veux dire. Nous aussi, on subit. Nous subissons énormément.
On n’arrête pas de subir. Moi, par exemple, je subis. J’éprouve du désir. Nous, par exemple. On nous oblige en quelque sorte à trouver belle les filles comme toi. On a définit ce qui était beau et ça bouge plus.
On me fait croire que je suis un pauvre type si je suis pas avec une fille comme toi. tu vois ce que je veux dire.
ZOÉ.- Ça, ce genre d’accès. Je le subis aussi. C’est normal. Moi aussi.
JIJI.- Oui, toi aussi. On t’oblige. A toi aussi. On t’a inventé un mec beau à poursuivre. Le problème, c’est que dans la réalité des hommes peuvent chercher indéfiniment des femmes qui n’existent pas.
Tu trouves que je dis une connerie ?
ZOÉ.- Non. Pas du tout. J’ai envie de te dire un secret. Tu ne le répètes pas. Tu sais ce que je fais pour lutter à ma manière contre l’image archi-glacée de la blonde magazine ?
JIJI.- Non tu fais quoi ?
ZOÉ lui parle à l’oreille.
ZOÉ.- ….C’est débile, non ?
JIJI.- Je ne sais pas.
Un temps.
ZOÉ.-Il n’y a plus personne. Tu es en voiture ?
JIJI.- Non.
Notes de l’auteur-metteur en scène :
Jiji, homme dont le cœur explose ; je veux parler d’un coeur qui renaît, d’où on peut entendre l’écoulement d’un ruisseau printanier. J’aimerais aussi réfléchir à une autre manière d’envisager le rapport théâtral. Ici, pas de lugubre, pas de sale. J’aimerais un théâtre d’espoir où il fait bon être humain. Où est le ciel bleu ? Jusqu’à quand l’âme mourra-t-elle ? « Étudier l’obscur est désastreux » selon Confucius.
Aujourd’hui, l’information nous met dans un rapport à l’humain totalement révoltant ; où l’humain montre à l’homme sans cesse sa monstruosité ; quelque part, le théâtre et la littérature n’ont plus à porter ce miroir de nos atrocités. En tout cas je ne le veux pas pour cette pièce. Même en ne le voulant pas, la monstruosité est tellement présente qu’il est difficile de s’en extraire quand bien même on le désirerait ardemment. Avec Eddy, j’ai plongé dans l’obscur et depuis et même avant -regarde les Grecs- je n’ai pas cessé d’être en prise avec du théâtre traitant de nos tourments. Des pièces écrites par des dépressifs pour en convaincre d’autres de l’être avec eux. Je ne veux pas prendre part au massacre de nos élans vitaux. Je veux devenir révolutionnaire par la fleur. Marre de voir qu’on prend le sourire pour de l’imbécillité et les pleurs pour de l’intelligence. Je pense que c’est réellement l’inverse qu’on doit proposer avec Jiji.
Je rêve d’une pièce où tous les spectateurs puissent sortir habités par la nostalgie de leurs sentiments amoureux ou pleins d’espoir quant à leurs futures émotions. Je veux de la beauté et que ce soit drôle.
Jérôme Robart