Eddy, F. de pute

Écrit et mis en scène par Jérôme Robart

Résumé :

Quinze ans avant le premier mot de la pièce, à la campagne, une femme trompe son mari, ils ont deux enfants ensemble, le mari n’en peut plus. Il décide de donner de l’argent à l’infidèle pour qu’elle parte sans les enfants. Elle accepte. LE PÈRE maquille le départ de LA MÈRE en mort accidentelle. Quinze ans après, nous retrouvons EDDY et LILI, les enfants, priant sur une tombe vide. LE PÈRE a oublié son énorme mensonge. EDDY en arrive à penser que LE PÈRE a tué LA MÈRE. Il s’enfuit vers les grandes villes. LE PÈRE, poursuit alors son fils pour lui dire la vérité, mais trop tard, dans les grandes villes, EDDY rencontre LA PUTE avec laquelle il plonge dans une passion infinie. LA PUTE est LA MÈRE d’EDDY et pour l’instant, ils ne le savent pas. Le déroulement de la pièce va le leur révéler et au lieu de suivre les chemins sanglants de leurs illustres ainés OEDIPE et JOCASTE, ils vont accepter et s’aimer encore.

Extrait de la pièce :

Objectif :

Tous public à partir de 12 ans

Nombre acteurs : 7

Durée : 1h30

Techniciens : Régisseur son, régisseur lumière

Disposition scénique : Bi-frontal ou Frontal

Lire un extrait

Sur le trottoir de la grande ville.
EVE tapine.
EDDY est là.

EDDY.- Je te cherchais.
J’ai fait tous les endroits, sauf celui-ci.
Je ne pensais pas celui-ci.
Je ne pensais pas un trottoir, la nuit, dans les phares des voitures qui te tournent autour.
Je ne pensais pas tes lèvres rouges dans la nuit.
Je ne pensais pas tes seins sortis.
Je ne pensais pas ton attitude qui provoque.
Je ne pensais à rien de tout cela.
Tu veux pas venir ?

EVE.- Non.

EDDY.- Qu’est-ce que tu fais là?

EVE.- Je danse.
Tu le vois bien, je danse.
Laisse-moi.
Peut-être un jour j’en aurai marre de tout ça et je te ferai un signe.
Si tu reviens demain, ce sera pareil. Je te jure que ce sera pareil. Laisse-moi.

EDDY.- Viens maintenant…

EVE.- Je commence à peine. Va-t’en.

EDDY.- Tu as déjà beaucoup travaillé depuis l’autre jour ?

EVE.- C’est ma « first night ».

EDDY.- Et ça marche ?

EVE.- Allez. Fous le camp, maintenant.

EDDY.- Combien de clients ?

EVE.- Tu veux vraiment savoir ?

EDDY.- Oui.

EVE.- Quatre en bouche et deux dans le con. Ça te va ?

EDDY.- T’en espère combien encore pour partir d’ici ?

EVE.- Une infinité.

EDDY.- Mais pour ce soir ?

EVE.- Dix de plus là et cinq ici.
Laisse-moi maintenant.

EDDY.- Combien d’argent, ça ferait ?
Combien ? Réponds.

EVE.- Mille à mille deux cents.

EDDY.- Je t’achète la nuit.

EVE.- Tu n’achètes rien du tout.

EDDY.- Je t’achète cette nuit et je t’achète demain.
Je t’achète demain et après-demain.
Je t’achète.

EVE.- Je n’ai pas besoin d’argent.
Ce n’est pas ça que je veux.
Laisse-moi.
Je te quitte. Je ne veux plus de toi. T’as entendu ?
Qu’est-ce que tu fais ?

EDDY.- Je prends un tour.

EVE.- Tu prends quoi ?

EDDY.- Un tour. Je prends un tour.
Je suis un homme. Je fais la queue.

EVE.- Laisse-moi, s’il te plaît.
Casse-toi.

EDDY.- Je veux quelque chose que tu vends.
J’ai les moyens. J’achète.
Trente euros, c’est ça ?

EVE.- A toi. Je ne te vends pas.

EDDY.- J’achète ce que tu vends aux autres.
J’achète ce que tu m’as donné.

EVE.- Laisse-moi, maintenant.
Dégage. Dégage.
Tu gènes.

EDDY.- Tu es une pute. Tu n’as rien à refuser.
J’ai envie de baiser et je fais la queue.
Je t’arracherai des caresses.

EVE.- Tu ne m’arracheras plus rien du tout.
Je te le jure. Crois-moi.
Allez, laisse-moi. S’il te plaît.
Je t’en prie.
Je ne veux plus te voir. Je ne veux plus qu’on se voie.
C’est mieux. Je t’assure.
Viens plus là.
Ne fais pas l’enfant.

EDDY.- Tu te prends pour ma mère ? Tu te prends pour ma mère ?

EVE.-

EDDY.- Parce Que si tu te prends pour ma mère, de deux choses l’une.
Où je me prends pour ton fils et je te dis de venir. Ce n’est pas un endroit pour toi. Viens maman. Ton fils va te sortir de là.
Où je te dis que c’est impossible que tu te prennes pour ma mère puisque.
Tu es morte.

EVE.- Lâche-moi . Laisse-moi.
Ne me touche plus, merde.
Ne me touche plus.
Ne me regarde plus.
Bon sang de merde.

EDDY.- Tu pourrais être heureuse loin de moi ?
Je crois pas, non. Pas en ce moment. Pareil pour moi.
La vie est douce. Là.
Je ne veux plus te perdre.
Tu crois pas qu’il peut y avoir un moment où on peut arrêter la tragédie ? Non ?
On peut pas s’autoriser à vivre autrement ?
Tu veux qu’on se sépare, qu’on suive le chemin tout tracé, ou pire encore ?
On est montré du doigt ? Banni ? Damné ?
Non. Il n’y a rien.
Pas de dieu. Pas de foudre.
Tout le monde s’en fout.
On a baisé ensemble et tout le monde s’en fout.
Personne n’en a rien à foutre.
Et je vais te dire. Moi aussi, je m’en fous.
T’as pas froid ?

EVE.- Non.

EDDY.- Tu veux une clope ?
Tu vas donner ta vie à un système à la con ?
On va pas se sacrifier pour rendre impossible un truc possible et dont on a envie ?
Tu sais ce que c’est avoir envie ?
Oui. Tu sais.
C’est rare.
On est seul.
Face à face. On ressent quelque chose.
C’est dommage. Non ?
Tu dis rien ?
Dis quelque chose.

EVE.-  J’ai souvent imaginé te voir arriver au coin de la rue sur mon trottoir et que tu me demandes une passe. A chaque jeune gars, j’avais une hantise furtive que c’était toi que je te reconnaisse pas et qu’on baise.
J’imaginais le pire, mais j’imaginais pas que le pire.
Pouvait être.
Aussi.
Bon.

Ils s’embrassent.

Notes de l’auteur-metteur en scène :

À l’origine, le texte s’intitulait « Méfiez-vous des nuits ». Je voulais une démonstration des méfaits du mensonge.
Je partais d’un premier mensonge. Énorme. Je le posais au début de l’histoire et toute une suite de monstruosités en découlait quasi naturellement.
Il était essentiel pour moi que les personnages soient totalement subissant. Je voulais que ces monstruosités ne soient pas le fait de leurs caractères monstrueux, mais dépendent d’une suite logique, implacable, d’évènements découlant du premier mensonge et entraînant tout dans son dérouler.
Puis, l’histoire posée, Œdipe est ressurgit.
Le travail s’est inscrit alors dans la visite d’un mythe, de son histoire, de ses thèmes. Pourtant une différence fondamentale sépare les deux essais.
Dans Tes, le fil narratif de l’intrigue mythologique est absolument respecté. Jamais remis en question.
Là, en travaillant sur Eddy, je me suis retrouvé face à une réelle impossibilité.
J’avais l’intuition d’une issue sans sang, d’acceptation, de consentement.
Je voulais quelque chose de moins sanglant et je me suis retrouvé face à quelque chose de plus retors moralement, de plus dangereux.
Curieux, non ?

Jérôme Robart